Dangereuse. C’est le mot que Ayra Starr a choisi pour qualifier son premier album, ainsi que son âge, considérablement jeune compte tenu du succès de la chanteuse après seulement un EP et quelques remixes. Mais Ayra avait le choix des adjectifs, excitante, déterminée, énergique, réfléchie, confiante. Ce sont là des qualités qu’il est facile de constater lors de notre entretien et peut être que ces qualités, lorsque réunies chez une jeune femme talentueuse, sont considérées comme dangereuses par une minorité dépassée. Quoi qu’il en soit, Ayra est capable de canaliser un éventail d’émotions et de sujets qui rendent son premier album multinational et multigénérationnel. Il convient de rappeler que la jeune artiste a été « découverte » par le fondateur de Mavin Records, Don Jazzy, après avoir posté une composition originale intitulée « DAMAGE » sur Instagram, une histoire qu’Ayra raconte dans cet entretien. La chanson apparaît sur 19 & Dangerous sous le nom de « Toxic ».
Ce n’est pas la seule confluence d’images qui tourne autour de la personnalité d’Ayra. Qu’il s’agisse de la comparaison avec Rihanna, une des idoles d’Ayra, qui a sorti Good Girl Gone Bad à l’âge de 19 ans, du duo frère et soeurs compositeurs à l’image de Billie et Finneas ou encore de l’irrévérence et du passé de mannequinat d’une jeune Iggy Azalea, Ayra porte le poids d’un grand potentiel sur les épaules. Comparaisons mises à part, Ayra ne cesse de revendiquer son identité sur ce premier album, chantant sur « Cast (Genz Z Anthem) » une intro aux airs de manifesto « I’m gonna be who I want to be, live my life the way I wanna live, with no shame, with no haste…I heard life has no limitations but the one you make ».
Ayant grandi entre Lagos et Cotonou dans un foyer rempli de musique, Ayra a aussi acquis une diversité stylistique qui transparaît dans cet album. Oscillant entre r&b, afro-fusion et rap, la jeune artiste est prête à tout tester, chantant sur « Bridgertn », « broke all the stereotypes, I make my rules, I break all of your rules… yeah I’m lit like that. » ( « je casse les stéréotypes, je crée mes propres règles, je brise toutes les tiennes… oui je suis comme ça »). Le mieux est peut être de décrire l’album comme une « vibe », un mot qu’Ayra emploie souvent et une sensation qu’il vous faudra entendre de vous même.
PAM s’est entretenu avec Ayra pour avoir un meilleur aperçu de l’artiste à la veille de la sortie de son album, discutant des thèmes d’émancipation, de représentation, d’inspiration et de sa carrière jusqu’à maintenant.
Peux-tu nous parler du titre de l’album ?
J’ai toujours su que je voulais nommer mon premier album 19 & Dangerous. Je l’ai dit l’année dernière, je n’arrêtais pas de le dire. J’ai donc écouté mes morceaux et je me suis dit que je devais vraiment faire un album. Je n’ai pas besoin d’attendre que qui que ce soit me dise que mon heure est venue. Après que mes fans m’aient demandé l’album, je me suis dit que je devais sortir ce que j’avais à sortir. J’ai 19 ans bien entendu, ça fait partie du nom de l’album. Et dangereuse… c’est juste qu’un jour j’ai réalisé que je n’avais pas peur de faire des erreurs, je n’avais pas peur d’échouer tu vois ? Je suis prête à travailler dur pour aller là où je veux aller. Je suis prête à essayer autant de fois que nécessaire pour être celle que je veux être. C’est là que j’ai su que j’étais dangereuse, parce que je n’avais rien à perdre. Je suis prête à me battre et je suis prête à gagner, je suis prête à tout. Donc 19 & Dangerous était en mode, hé j’ai 19 ans, et je suis dangereuse et je suis prête.
Est ce que le “danger” s’inscrit dans le thème de l’émancipation féminine que tu abordes dans l’album ?
Évoluer sur la scène musicale nigériane signifie que beaucoup de personnes vont vous dire que les femmes n’ont pas la même longévité artistique que les hommes, et c’est un des multiples stéréotypes quand on est une femme dans ce domaine. Personnellement, je ne suis pas là pour coller aux stéréotypes de qui que ce soit, je brise toutes les règles et crée les miennes, je casse les stéréotypes. L’album est aussi une déclaration. Je ne suis pas là pour être quelqu’un d’autre. Vous ne pouvez pas me dire comment agir, vous ne pouvez pas me dire comment être. C’est comme ça quand on parle de féminisme et de tous ces thèmes, donc c’est vraiment l’un des points de l’album.
Tu parles aussi du fait que tu es une grande fan de Rihanna, Beyoncé et d’autres. Est ce que tu prends exemple sur elles en tant qu’artiste ?
Oui, de leur musique et de leur carrière, cette manière de se recréer et de ne jamais abandonner. C’est très simple. La manière dont les femmes se recréent n’est pas du tout la même que celle des hommes. Un artiste masculin peut porter des t-shirts et avoir la même coiffure pendant 10 ans et les gens continueront d’écouter sa musique. Mais quand il s’agit des femmes, les auditeurs veulent voir quelque chose de nouveau à chaque fois. Les gens ont vraiment une capacité d’attention courte lorsqu’il s’agit des femmes. Mais ça n’a pas arrêté Nicki Minaj, ça n’a pas arrêté Rihanna, ça n’a pas arrêté Beyoncé. Elles veulent le faire et sont prêtes à travailler pour. Elles travaillent cent fois plus que les autres. Et ça c’est le plus motivant, ça m’inspire tellement.
Tu as aussi mentionné que tu avais cette capacité de transposer des expériences de la vie mais aussi de séries. Est ce que tu peux nous en dire plus sur ta manière de prendre ces inspirations ?
Un des sons de l’album s’appelle « Bridgertn », j’ai eu l’idée à partir de la série Bridgerton. Et c’est tout. Quand j’ai entendu le beat je me suis dit, « oh mon dieu, où est ce que j’ai déjà entendu ça ? ». Ça m’a tellement évoqué la série Netflix Bridgerton. La représentation est importante, je ne m’étais jamais rendu compte à quel point jusqu’à ce que je vois une reine noire dans cette série. Imagine juste, la Ayra de 10 ans qui voit une reine noire. Ça aurait changé mon attitude toute ma vie. J’aurais été tellement confiante. Parce qu’on n’a jamais l’occasion de voir ça. La télé ne montre pas tout ça. Donc en tant qu’adolescente, voir une reine puissante et noire, ça m’a inspiré l’écriture de ce son. Le refrain c’est, « je suis la reine, agenouille-toi ». Même quand je dis que j’ai de l’opal sur mes grills, je ne sais rien du tout sur les grills, je n’ai jamais eu de grills, mais j’ai vu un post de Kim Kardashian qui dit qu’elle a de l’opal sur ses grills donc je l’ai mis dans mon son. Donc parfois c’est juste que je mets ce que je sens. Même sur « Snitch », j’écoutais le beat en étant sur Twitter et j’ai vu une femme connue se plaindre de son ex petit ami et je me suis dit, « Ouais je devrais écrire là-dessus » et je l’ai fait.
Tu sors aussi « DAMAGE » (maintenant « TOXIC ») le morceau qui t’a fait découvrir par Don Jazzy. Qu’est ce que ça fait de boucler la boucle et de sortir officiellement ce son ?
C’était une des meilleures choses parce qu’après que j’ai sorti le son original sur Instagram, Don Jazzy m’a envoyé un message et quand on s’est vu au studio, il avait déjà composé le beat. J’étais en mode « Quoi ? Il a fait le beat ? » J’étais tellement excitée que Don Jazzy ait fait un beat pour moi. C’était fou donc j’étais excité d’enregistrer ça. Le beat était tellement parfait que j’ai dû enregistrer autant de fois que possible pour être à la hauteur du beat ?
Il y a aussi un grand mélange d’une variété de genres différents. Comment concilier toutes ces influences ?
Je suis la personne la plus spontanée du monde quand il s’agit de musique et je suis aussi aventureuse. Je peux venir au studio un jour parce que j’écoute Michael Jackson et que je veux faire un son funk, on met de l’Afro dessus et on crée de l’Afro-funk. À un moment j’écoute Burna Boy et je veux faire de l’Afro-fusion. C’est juste en rapport à ce que j’écoute. J’ai aussi grandi en écoutant une grande variété de genres différents. J’ai grandi au Nigéria mais j’ai aussi vécu à Cotonou. Donc j’ai grandi avec de la diversité. Ma grande soeur adorait le reggae, ma tante adorait le r&b, ma mère adorait le reggae. J’ai écouté beaucoup de choses différentes en grandissant. C’est ce que j’essaie de travailler dans mes sons. Je veux m’adresser aux gens de différentes parties du monde, indépendamment de ce que je chante et d’où je viens. Je veux que les gens m’aiment de toute part. Je veux qu’ils entendent mon histoire et qu’ils entendent leur propre musique dans ma musique. Donc j’essaie d’explorer différents genres et de faire tout ce qu’il est possible en termes de diversité musicale.
Tu as aussi ton morceau « Fashion Killer » qui semble être une ode à ton passé de mannequin. Comment ces deux mondes se rencontrent?
J’étais mannequin et je me souviens que lorsque je m’entraînais à défiler dans ma maison et ma chambre, la musique améliorait toujours les choses. En écoutant de la musique je me disais ok si je dois défiler pour Versace ce sera ce son qui jouera. Ça doit être « This is what you came for». « This is what you came for » de Calvin Harris c’était ma came, je voulais faire tous mes défilés sur ce son. Donc quand j’étais mannequin je me disais que j’avais hâte de défiler sur ce son avec cette énergie. Donc c’est l’énergie que je voulais apporter à « Fashion Killer ». Quand j’ai entendu le beat j’ai dit à mon frère, parce que j’écris la plupart de mes sons avec mon frère, « Tu sais, faisons ça pour les défilés, faisons ça pour les mannequins ». Je savais quels genres de sons je voulais écouter sur la piste donc j’ai essayé de transmettre cette énergie dans « Fashion Killer ». Et c’est l’énergie avec laquelle nous sommes venus, juste de la mode et une vibe. C’est tout.
Tu parles beaucoup d’émancipation dans ta musique. Pourquoi c’est important pour toi que les gens gagnent en confiance en eux ?
En grandissant, je savais à quel point la musique me faisait me sentir mieux. Je sais à quel point la musique a changé ma vie en grandissant, des brimades que je subissais à l’époque au simple gain de confiance maintenant. Quand je suis arrivé à la fac j’étais très déprimée et je sais que la musique m’a soulagé. La musique était une thérapie pour moi. Donc j’ai essayé de transmettre ça dans ma musique. Je veux que ma musique soit une forme de thérapie pour les gens, que plonger dedans soit un soulagement immédiat. C’est ce que j’essaie de mettre dedans, je veux que les gens s’émancipent. Les jeunes femmes et les jeunes hommes. J’avais l’habitude de dire que je voulais être écoutée par les jeunes femmes mais maintenant, avec la sortie de l’EP, je me suis rendu compte que ma musique touchait aussi les jeunes hommes. C’est fou de réaliser combien d’hommes apprécient ma musique donc maintenant j’essaie d’en faire pour tous. Je veux que vous veniez tous écouter ma musique pour vous permettre de gagner en confiance. Je veux que vous vous sentiez forts tout comme je me suis senti quand j’écoutais la musique d’autres artistes.
Alors quelle est la prochaine étape pour Ayra Starr ?
Ce Corona devrait nous laisser tranquilles parce qu’une fois que le Corona sera fini il ne s’agira plus que de voyager, de faire des concerts, plus de musiques, plus de featurings et tout ça. J’ai travaillé sur beaucoup de featurings. Donc beaucoup de choses prévues.
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